Cette semaine, j’ai fait un dur constat côté DRMs : il y a peut-être de la lumière, au bout du tunnel…
Coté Editeurs ?
Il m’est arrivé plus d’une fois de rentrer en contact avec des éditeurs pour discuter du sujet, à chaque fois pour voir tenter de comprendre pourquoi tel ou tel titre portait des DRMs. Jusque récemment, c’était uniquement des éditeurs de littérature de genre (Bragelonne, l’Atalante), ou alors purement numériques ( Walrus, Numeriklire, Publie.net ), mais j’ai été amené aussi à en parler avec des éditeurs plus « classiques », venant du papier et du côté « noble » de la littérature.
Et le constat est assez net :
- tous ceux qui veulent une protection sur leurs fichiers souhaiteraient que la solution du Watermark soit accessible sur l’ensemble des revendeurs. La protection par chiffrage n’est pas perçu comme une solution miracle, mais bien comme défectueuse et pour laquelle l’alternative du marquage pourrait parfois être substituée avec avantage.
- il est fréquent que les souhaits exprimés par les éditeurs concernant la protection des ebooks ne soit pas celle qui est effectivement proposée à la vente dans les grandes e-librairies (Amazon, Kobo, Apple, Google …), qui surprotègent évidemment.
- les librairies indépendantes, par contre, collent beaucoup plus prêt aux demandes, mais parfois il y a des couacs au niveau des distributeurs.
C’est vrai que parmi les éditeurs avec qui je suis en contact, aucun ne travaille chez Gallimard, Flammarion ou Hachette (chacun ses petits snobismes), et il est bien possible que ceux là se seraient montrés parfaitement heureux de la situation. Mais à vrai dire, au final, on est quand même loin de l’unanimité.
Mais alors, ça coince où ?
Le troupeau d’éléphants
(attention, analogie très foireuse, agressive, attention ça va barder, et je vais me faire des ennemis, détournez les yeux, hémoglobine en direct).
En fait, ce à quoi on affaire, la, c’est un troupeau de distributeurs éléphants. Qui font la sieste. Et qu’on pas envie de se bouger les fesses pour libérer la place à côté du marigot où ils ont fait trempette ce matin. Et de toute façon, les hippopotames e-libraires ont décidé de faire pareil et de glander en faisant des bulles dans l’eau.
Et nous, lecteurs, on est des zèbres qui aimeraient boire un coup.
Et quand on demande aux hippopotames de nous faire de la place, ils nous expliquent tranquillement que tant que les éléphants n’auront pas bougé, ils ont pas de raison de s’écarter.
Et les auteurs et éditeurs, c’est des gazelles qui voudraient sauter à l’eau. Mais quand ils demandent un accès aux éléphants, ils se voient répondre qu’ils peuvent pas bouger tant que les hippos n’en auront pas fait de même. Ils ont bien essayé d’ailleurs, il y a un certain temps, mais dans l’eau, c’est les hippos qui mènent la danse, et ils peuvent rien faire.
Ajoutons à ça la bienveillance des Gazelles seniors au pelage couvert de blanc, qui se sentent très bien là où ils sont, et surtout ne veulent pas que ça change, après tout, que « sauter dans l’eau n’est pas digne d’une Gazelle bien élevée, y’a plus de jeunesse ma bonne dame… », et ben ceux là, c’est clair qu’ils vont pas pousser à la roue, ils sont très bien comme ça, merci madame.
En bref, voici devant vos yeux ébahis, un gigantesque ping-pong pachydermique certes, mais à vitesse d’escargots… asthmatiques… et fourbus de vieillesse.
Ainsi se clôt, sur ce magnifique coucher de soleil au dessus du marigot Burunduga, mon analogie foireuse.
On n’est pas rendus.
Pour de vrai, comme je le disais dans la première partie, je crois qu’il y a une prise de conscience coté éditeurs, et que de plus en plus commencent à se soucier du problème et vont se mobiliser. Mais devant tant d’immobilisme des « gros » e-libraires et l’impuissance des distributeurs qui ont un peu laissé tomber la question, il va falloir encore attendre un peu…
Sauf si…
une idée lumineuse ?
Venue du fin fond du Calvados, portée via l’Assemblée Nationale par la député Isabelle Attard, très au fait de ces problèmes, une proposition enthousiasme pas mal de monde :
Je vous fais donc la proposition suivante, qui règlerait d’ailleurs un conflit entre le gouvernement français et l’Europe. La vente de livres sous format de fichier ouvert devrait bénéficier d’une TVA réduite, puisqu’il s’agit bien d’une vente et les systèmes fermés comme ceux d’Amazon ou Apple, qui sont une prestation de service numérique, conserveraient leur TVA au taux normal.
Autrement dit (plus mal):
- puisque les DRMs limitent effectivement la « vente » d’un ebook verrouillé (lock-books dixit @pouhiou) à une location, on peut sans soucis la considérer un service (comme le demande la CE via Bruxelles), donc avec une TVA à 19.6%.
- dans le même temps, un ebook vendu non verrouillé serait considéré non plus comme un service, mais comme un livre, et donc avec le taux de TVA du livre (5.5%), comme le souhaite la France depuis un certain temps.
Outre le fait de proposer une porte de sortie politique convenable pour les deux protagonistes de cette vieille histoire de taxes, ça se tient sans doute pas mal du point de vue légal (et devrait pouvoir s’étayer avec quelques dispositions supplémentaires), et permettrait aussi sans doute d’accélérer notre ping-pong d’éléphants…
Déjà, je pose une petite hypothèse, discutée avec @Calimaq: que les ebooks vendus avec Watermarks seront considérés comme livres et non pas license/service. Ca se tient sans doute par le fait qu’ils sont interopérables, et non limités dans le temps ou à un quelconque matériel, donc bel et bien indépendant d’un service après l’acte d’achat.
Souplesse
Je vous sens vous impatienter là : c’est quoi cette histoire ? TheSFReader il est pour augmenter la TVA sur les Lock-Books et donc faire payer plus cher les lecteurs ? Il se fout de la gueule du monde, non ?
En fait, on pourrait croire que oui, mais non.
Il ne faut pas oublier une chose : Le prix de vente du livre numérique est fixé par l’éditeur, quel que soit le taux de TVA. Et comme il est plus ou moins borné par le prix du livre papier (taxé lui à 5.5%), l’ensemble de la chaîne va avoir le choix (livre par livre) entre payer 19.6% de TVA et 5.5%. Ça fait quand même une jolie différence, qui ne devrait laisser personne indifférent.
Vous me direz, les e-libraires paient déjà une « taxe » sur les DRMs, de leur poche. C’est vrai. Mais là où ils pouvaient mettre des DRMs sans se poser de question (s’ils acceptent le surcoût), ils vont devoir rendre des comptes aux éditeurs et intermédiaires, puisque ce n’est plus leur marge propre qu’ils attaquent, mais celle de toute la chaîne en amont.
Par exemple, si un éditeur décide de publier un livre à 10€, que le libraire touche 30% du HT, distributeur 10%, diffuseur 10% et éditeur 50% du HT, ça donne les résultats suivants (TVA arrondie à 20% et 5%):
TVA | 20% | 5% |
---|---|---|
HT | 8.00€ | 9.50€ |
libraire | 2.40€ | 2.85€ |
distributeur | 0.80€ | 0.95€ |
diffuseur | 0.80€ | 0.95€ |
éditeur | 4.00€ | 4.75€ |
Comme vous le voyez, Entre un niveau de taxe et un autre, c’est loin d’être négligeable, pour chacun des participants.
De plus, si le libraire persiste à mettre des DRMs sans que ce soit demandé par l’éditeur — par exemple s’il ne veut pas adapter sa boutique internationale à notre petit pays (oui, c’est vous AGAK que je regarde) — , il devra mettre de sa poche le complément. Après avoir « compensé » les autres, sa part sera donc de 8€ – 0.95 – 0.95 – 4.75 = 1,35€ soit presque 45% de moins !
Petits détails administratifs et de délais, conclusion…
Mais, me direz vous, comment ais-je pu oser prendre cette liberté avec les taux de TVA, comme ça ?
La réponse est que, de toute façon, actuellement, ce seraient encore la partie Française qui paierait le supplément, puisque la TVA sur la vente à distance/électronique est actuellement basée sur le pays de déclaration du fournisseur de service (en l’occurrence souvent le Luxembourg si on parle d’AGAK, aec une TVA à 3%). Mais ça va changer au 1er Janvier 2015. Et comme en France, le gouvernement actuel propose de passer la TVA aux taux de 5%/20%, ça se tient pas mal, non ?
Tout ça pour dire que si cette proposition était acceptée, tout le monde se mettrait à limiter les DRMs par chiffrage là où c’est expressément demandé par l’auteur ou son agent, et que les même les éditeurs se re-poseraient la question.
Voilà de quoi bousculer quelques éléphants et hippopotames, non ?
Mais en attendant, ou si ça ne se fait pas, on va continuer à communiquer avec tout ce petit monde là, tenter de faire avancer progressivement les choses… Sans doute qu’avec beaucoup de patience, on va pouvoir tous arriver à faire trempette et s’éclater dans l’eau !
Réactions bienvenues, ici, ou sur le forum dans le sujet qui relaie l’article d’Actualitte sur la proposition d’Isabelle Attard.
edit du 21 à 20h10 : 1) changement du lien ci-dessus, 2) On me fait remarquer, dans mon oreillette, que je suis finalement assez complaisant dans ce billet avec les éditeurs « vieilles garde », qui restent accrochés aux DRMs, mais qui représenteraient environ 70% du marché. C’est vrai. Mais par égard aux éditeurs, qui, eux, jouent le jeu et commencent à « voir la lumière », j’ai décidé de ne pas remplacer les gazelles par des buffles bien mufles et ruminant toujours l’herbe broutée de la veille, se gardant de bouger plus qu’une oreille devant les demandes des zèbres…
Laisser un commentaire